Grève dans l'audiovisuel public : cinq questions sur le projet de fusion, bientôt examiné à l'Assemblée nationale

Les députés s'apprêtent à examiner une réforme de l'audiovisuel public votée en juin 2023 par le Sénat et largement remaniée en commission. Les syndicats s'opposent à la fusion souhaitée par le gouvernement.
Article rédigé par franceinfo avec AFP
France Télévisions
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La Maison de la radio, qui accueille les bureaux et les studios de Radio France, dans l'ouest parisien, le 20 mai 2024. (RICCARDO MILANI / HANS LUCAS  / AFP)

Un appel général à la grève. Les syndicats de l'audiovisuel public (France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l'INA) appellent à se mobiliser jeudi 23 et vendredi 24 mai contre la réforme de l'audiovisuel public, votée au Sénat en juin 2023 mais largement remaniée en commission à l'Assemblée mi-mai. Les députés doivent s'en saisir ces prochains jour dans l'hémicycle. Le sujet d'un rapprochement, voire d'une fusion des médias publics, récurrent depuis l'élection d'Emmanuel Macron en 2017, a pris corps rapidement depuis la prise de fonction de la nouvelle ministre de la Culture, Rachida Dati, en janvier.

1Qu'est-ce que l'audiovisuel public ?

Dans le vaste paysage de l'audiovisuel public, France Télévisions est le poids lourd. Il rassemble les chaînes France 2, France 3 (et ses antennes régionales), France 4 et France 5, la chaîne d'information franceinfo et le site franceinfo.fr (en collaboration avec Radio France), le réseau Outre-mer La 1ère et la plateforme numérique france.tv. A ses côtés, Radio France comprend les stations généralistes France Inter et franceinfo, les stations thématiques France Culture, France Musique, FIP et Mouv', le réseau local France Bleu (en plein rapprochement avec France 3), ainsi que des orchestres et chœurs.

France Médias Monde (FMM) est le groupe chargé de l'audiovisuel extérieur de la France. Il réunit la chaîne d'information France 24 (en français, en anglais, en arabe et en espagnol), la radio RFI (en français et 16 autres langues) et la radio en arabe Monte Carlo Doualiya (MCD).

Enfin, l'Institut national de l'audiovisuel (INA) est chargé d'archiver les images et sons de la télé et de la radio. Ces dernières années, il est aussi devenu un média à part entière, en exploitant ses archives. L'audiovisuel public comprend aussi les chaînes de télé TV5 Monde et Arte, mais elles ne sont pas concernées par la réforme actuelle, puisqu'elles ont un statut international.

2 Que prévoit le projet de réforme ?

La réforme sur laquelle les députés ont à se prononcer s'appuie sur une proposition de loi d'un sénateur Union centriste, Laurent Lafon, adoptée par le Sénat en juin 2023. Dans cette version du texte, France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l'INA devaient être regroupés, au 1er janvier 2025, dans une holding baptisée France Médias. Une structure ayant pour objectif de "définir les orientations stratégiques" des quatre entreprises et "de veiller à la cohérence et à la complémentarité de leurs offres de programmes".

Mise en sommeil après son adoption au Sénat, la proposition a été déterrée par l'exécutif début 2024, et la voici désormais inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée, avec une importante modification à la clé. Un amendement du gouvernement, adopté en commission des affaires culturelles de l'Assemblée, fait de la holding une étape transitoire, avant une fusion des quatre entreprises au 1er janvier 2026. La société géante aurait alors un budget de quatre milliards d'euros et quelque 16 000 salariés. Son PDG serait "nommé pour cinq ans par l'Arcom", l'autorité de régulation de l'audiovisuel – dont le président est nommé par l'Elysée –, comme c'est déjà le cas aujourd'hui pour la plupart des entités de l'audiovisuel public.

Dans ce projet, le sort de France Médias Monde ne paraît pas tranché. Lors de l'examen du projet de réforme en commission, Rachida Dati avait prôné l'intégration de cette entité au nouvel ensemble. Mais lors de l'examen en commission, les députés se sont prononcés contre la présence de FMM dans la holding. Le ministre des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, a ensuite affirmé que le gouvernement était finalement pour son exclusion de l'entreprise unique. Les discussions pourraient néanmoins être serrées, la droite étant à l'inverse attachée à son inclusion.

3 Quel serait l'intérêt d'une fusion ?

Il faut se regrouper pour être plus forts face à la concurrence accrue des réseaux sociaux, des médias privés et des plateformes américaines comme Netflix, martèlent les promoteurs de la fusion. Les synergies déjà existantes entre les différentes entreprises sont "insuffisantes tant sur le plan des partenariats éditoriaux que sur celui des fonctions support", détaille le rapport de la commission des Affaires culturelles de l'Assemblée. En particulier, la fusion doit permettre de "déployer une stratégie numérique unifiée et puissante, de regrouper les moyens éditoriaux et d'ouvrir la voie à davantage d'innovation dans la production et le développement de nouveaux formats pour prendre en compte tous les publics et tous les usages". Ces arguments n'ont pas trouvé grâce aux yeux de cinq anciens ministres de la Culture, qui ont témoigné devant les députés au printemps et alerté sur une réforme qu'ils estiment coûteuse, inopérante et à côté des enjeux du moment, rappelle La Chaîne parlementaire.

Pour la droite, la réforme est aussi l'occasion de proposer de nouvelles économies sur le budget de l'audiovisuel public, déjà soumis à plusieurs coups de rabot ces dernières années. "Je ne vois pas pourquoi l'audiovisuel en France ne ferait pas comme les Français, au moment où on a 3 100 milliards de dettes", a ainsi estimé sur franceinfo Bruno Retailleau, chef de file des sénateurs LR et membre de la commission des affaires culturelles du Sénat. Un discours qui tranche avec celui de la majorité. "Il ne s'agit pas de faire des économies de moyens", assure ainsi le rapport de la commission de l'Assemblée, soulignant que "l'audiovisuel public fonctionne bien".

4 Qu'en pensent les entreprises concernées ?

Les directions des différentes entités sont partagées. La présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte Cunci, soutient le projet de holding puis de fusion. Si le projet va à son terme, elle est pressentie comme une candidate logique à la présidence de cette nouvelle société. Son homologue côté Radio France, Sibyle Veil, est favorable à une holding, mais opposée à une fusion. La présidente de France Médias Monde, Marie-Christine Saragosse, souhaite, elle, préserver la "spécificité" de l'audiovisuel public à l'international, quelle que soit la solution retenue. Enfin, le président de l'INA, Laurent Vallet, est quant à lui favorable à la holding ainsi qu'à la fusion.

Les organisations syndicales du secteur sont en revanche opposées à tout rapprochement, en particulier au scénario d'une fusion. Des préavis de grève pour jeudi 23 et vendredi 24 mai ont été déposés dans les quatre sociétés publiques, où l'on craint pour les moyens, les emplois et l'indépendance éditoriale. "Au moment où l'audiovisuel public joue pleinement son rôle face à des médias privés contrôlés par une poignée de milliardaires, pourquoi l'engager dans une fusion qui s'annonce longue, complexe, anxiogène pour les salariés, et sans réel objectif éditorial ?", s'interrogent les syndicats de France Télévisions. "Le risque est avant tout démocratique", pointent aussi plus d'un millier de salariés de Radio France dans une tribune au Monde. "Nous craignons pour l'indépendance de vos médias de service public lorsque l'on nommera, pour cette superstructure, un ou une PDG unique, aux pleins pouvoirs."

Les syndicats réclament plutôt "la mise en place rapide, au plus tard à l'automne 2024, d'un dispositif de financement pérenne et dynamique du service public audiovisuel", qui garantisse son "indépendance". Depuis la suppression de la redevance en 2022, le secteur est financé par une fraction de la TVA, selon un mécanisme provisoire. Les députés Quentin Bataillon (Renaissance) et Jean-Jacques Gaultier (LR) planchent d'ailleurs sur un autre texte de loi devant assurer un financement pérenne de l'audiovisuel public, via un "prélèvement sur recettes" du budget de l'Etat.

5Quel est le rapport de force à l'Assemblée sur ce texte ?

S'il est soutenu par la droite et l'extrême droite au Parlement, l'exécutif rencontre des résistances dans son propre camp, les députés MoDem s'étant déclarés opposés à une fusion. "Une holding peut être un outil intéressant" mais "la fusion avec une date fixée comme ça, assez proche, nous semble prématurée et surtout précipitée", défend Erwan Balanant, porte-parole du groupe, sur franceinfo.

La gauche, elle, est vent debout contre le projet même de holding. "Sa mise en place serait l'aboutissement d'un processus de dénigrement et de fragilisation financière de l'audiovisuel public mené méthodiquement depuis l'arrivée d'Emmanuel Macron au pouvoir", considèrent par exemple les députés de La France insoumise (LFI), en rappelant que les médias publics peuvent se féliciter de bonnes audiences, et n'ont donc pas besoin d'être "renforcés".

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